Archives du mot-clé xavier fisselier

mn (XV)

Rien, vraiment rien? Non, je ne crois pas. Croire? Non, je ne crois en rien d’ailleurs. Je n’ai pas de croyances auxquelles croire. Je préfère rêver, c’est plus pertinent et tout aussi utile. Rêver n’est pas espérer. Rêver, c’est partir, construire sa réalité. La réalité ne concerne que celui qui la vit. Il ne peut fuir ailleurs. Alors, je dois m’observer à présent, attentivement, en prenant mon temps, même si je ne connais vraiment pas ce que signifie prendre son temps. Je n’en prends ni n’en perds. Comment perdre du temps? Comment en gagner? C’est absurde. Je me reconnais bien dans cette notion d’absurde, mais je ne peux tout de même pas pousser le bouchon si loin. Je sais parfaitement qu’il m’est impossible de gagner ou de perdre du temps. Je suis seulement dedans, dans son écoulement imperturbable, là tout de suite. Je n’y pense pas. Cependant, aucune émotion ne semble vouloir prendre le dessus. Ni les rires, ni les larmes. L’indifférence, la seule indifférence. Celle qui me comble de paix, me tranquillise.  Mais une seule chose me dérange: ce contact glacial de la plante de mes pieds sur le sol. Je n’arrive pas à être en suspension totale. Je le rêve, je le désire ardemment mais je ne peux hélas transformer cette envie en réalité. C’est inouï, j’en suis incapable. Je constate maintenant que le contact physique, aussi ténu soit-il, avec une surface, un objet, est le seul rappel à mon existence ici. Je ne peux ni flotter ni rester en suspension. Je viens seulement de m’en rendre compte. Je n’y pense pas d’habitude. Je sais très bien que dans l’espace on peut le faire, mais pas ici. Cet exercice est un échec, je ne peux pas tout voir de moi, il y a toujours une surface de mon être en contact avec quelque chose. Il y a toujours un obstacle. Doit-on dire un support, une résistance? Cela m’est épouvantable. Là, maintenant, je ne peux pas voir la plante de mes deux pieds. À l’intérieur de ce parfait cube de glaces, si bien étudié, je peux faire glisser mon regard sur ces surfaces et observer indéfiniment toutes les parties de mon corps, l’une après l’autre, presque simultanément, presque intégralement. Mais pas toutes. Pourquoi pas toutes? Je sens bien que je m’énerve inutilement. Cela ne mène à rien, cela n’a aucune importance. C’est absolument anodin et néanmoins, je devine l’angoisse qui me gagne et m’oppresse. Je sens que la lumière s’intensifie. Les murs tendent à se rapprocher. Je suis pris dans un étau. Le bourdonnement de mes oreilles s’amplifie. Je reste immobile. Je veux et je peux résister à cette pression. Foutaise! Je sens que tout le poids de mon corps, et plus encore, se concentre sur la surface qui me connecte au sol, sur cette plante de pieds que je n’arrive pas à voir. Je suis capable de transformer l’indifférence au monde extérieur en une profonde dépression intérieure. Si je ne me calme pas, si je ne pose pas mes mains sur le  rebord du lavabo d’acier, je vais encore m’effondrer. Combien de temps va encore durer cette chute? Est-ce un rappel à la vie? Je ne veux pas m’infliger cette épreuve à nouveau? Je ne parviens plus à penser par moi-même, à me maîtriser. Bon sang, qui prend le contrôle de moi en ce moment présent? Qui? Je le hais…

à suivre… mn (XVI)

mn (XIV)

Je pénètre lentement, péniblement, en trainant les pieds, l’un après l’autre sur le sol, dans la petite salle de bain. J’essaie de faire le moins de bruit possible, pour ne pas me déranger. Je presse le bouton de l’interrupteur, la lumière explose violemment dans cette minuscule pièce recouverte de glaces. Cette salle de bain est édifiante. Les quatre murs ainsi que le sol et le plafond se reflètent à l’infini, moi au milieu. Je ne sais pas si c’est une très bonne idée mais, dans le doute, je préfère trouver cela drôle. Oui, c’est cela, c’est une idée saugrenue, mais drôle. J’éprouve toujours  une sensation désagréable au départ, puis l’agacement se dissipe, petit à petit. Je peux m’apprécier extérieurement, en surface, des pieds à la tête, devant derrière, sur les côtés. Je peux tout voir, tout observer, tout détailler. Je ne le fais pas car il n’y a aucun intérêt à cet exercice et je n’en ai pas le courage. Je n’ai pas vraiment peur, seulement un sentiment d’épuisement et d’inutilité. Alors, je reste seulement pensif et passif, plutôt dubitatif d’ailleurs, face à la multiplication des “moi”, de moi, du moi. Mes yeux s’habituent à ce trop plein de lumière et le calme finit par entrer en moi. Il s’infiltre en moi. Je peux à présent retirer mes vêtements, sans vaciller. Je n’ai pas beaucoup de vêtements. Ce sont toujours les mêmes, c’est plus facile pour moi. Je ne peux pas me tromper. Ils sont blancs, un tee-shirt blanc, et un dhotî, pantalon indien de coton blanc qui ressemble plus à un bas de pyjama. Ils sont très lâches, sans forme, larges. Je les ai depuis si longtemps que je suis incapable de m’imaginer portant autre chose. Pourquoi porter autre chose d’ailleurs? Je n’ai pas fait le calcul exact mais, je crois que j’ai huit tee-shirts blancs, et quatre pantalons indiens blancs. Je dis qu’ils sont blancs, mais ils sont plutôt grisâtres maintenant, un peu jaunis aussi, avec les années. Mais j’aime à croire qu’ils sont encore blancs, je ne désire ni les voir ni les imaginer autrement. Après avoir défait le lien qui me sert de ceinture, mon pantalon tombe sur le sol, il s’affale  gracieusement sur mes chevilles. Je le repousse des pieds sur le sol. Je ne veux plus le voir, ni même à côté de moi. Je retire difficilement mon tee-shirt et le laisse tomber sur le plancher. Je veux être seul. Oui, seul avec mon corps. Nu.

M’aime-je suffisamment  pour réussir à embrasser cet être qui se meut en face de moi, dans les glaces? Ce corps reflété a-t-il une âme? Qui de nous deux voit l’autre? Où suis-je exactement? Entre les deux? En l’un? En l’autre? Qui est qui? Les deux sont-ils la même personne? Qui représente l’autre? Lequel des deux est-il la bonne personne? Je ris de lui, il rit de moi. Je suis enfin libre de rire de moi. Plus rien ne fait obstacle entre moi et moi.

à suivre… mn (XV)

mn (XIII)

Les effets « dits » seconds de l’alcool me bercent et m’apaisent. J’avale une fois de plus une grande rasade de mon verre et je m’exerce à penser, malgré cette plaisante nausée. Pour accroître cet état, je m’empresse d’allumer une cigarette. Je transpire abondamment. Mon odeur, cette odeur, savant mélange de transpiration, de fumée et d’exhalaisons de mon haleine lourde, m’est désagréable. Mais, tout compte fait, me rassure. Je suis bien là. Tout me le rappelle. Parvenir à ne pas s’inquiéter, à ne pas dramatiser le déroulement des événements qui s’enchaînent. Poser lentement son regard sur  l’horizon, caresser les visages dessinés par les nuages avec ses dix doigts, les bras levés vers le ciel. S’imprégner de la profonde immensité de l’espace, se fondre en lui. Se laisser absorber. Avoir confiance. Réintégrer sa dimension première, naturelle. Arrêt sur image, arrêt sur l’image de soi. Constater. Approuver. Désacraliser. Ne rien analyser. Laisser aller. Voilà ce que je dois réussir à apprendre, à comprendre. Simplement. Ne pas chercher à donner plus de sens aux événements et aux pensées que le premier et unique sens qui existe: la conscience. La conscience c’est, l’explosion instantanée et infinie de la somme de tous les sens du moment présent. La conscience d’être. La magie quotidienne de la conscience dont on n’est paradoxalement jamais assez conscient. Ne pas se prendre au sérieux, seulement constater. Sans conscience, pas de vie. Sans vie, pas de conscience. Mourir est donc bien apprendre à perdre conscience. La vie est bien l’apprentissage de la mort, l’apprentissage de la perte de conscience. Tout le reste n’est que métaphore ou-et oxymore, une composition mal rédigée et parfois même, bâclée.  Alors je me lève, titubant légèrement. Je redresse la chaise, échue sur le sol. Je regarde mon horloge à une aiguille. Elle fonctionne, tout va bien. J’aspire longuement et lentement une nouvelle bouffée de ma cigarette. J’essaie de la faire pénétrer au plus profond de mes poumons. Je la préserve longtemps au fond de moi avant de l’expirer. Plaisir brûlant et suffocant. Les soubresauts par saccade de mes poumons m’obligent à tousser plusieurs fois et à me racler le fond de la gorge. Mon corps est ankylosé. Par l’alcool? Par l’absence de mouvement? Je ne sais pas, un mélange des deux sans doute. J’ai presque envie de rire. Je souris de sentir ces courbatures de fainéantise. D’inactivité obsessionnelle. Rien faire est-il aussi douloureux et épuisant que le dur labeur journalier? Je peux peut-être rester encore plus longtemps à ne rien faire, afin de m’exercer à supporter cette douleur de la passivité. L’exercice est si tentant, j’esquisse un sourire encore une fois. Sourire aussi peut être une impression physique désagréable lorsque vous n’en avez pas l’habitude. La tension des muscles zygomatiques endormis s’avère parfois terriblement douloureuse. Je me souviens, enfant, de ces éclats de rire. Je ris parce que je découvre de nouvelles émotions, de nouvelles sensations, de simples choses que je ne connais pas encore. Je ris parce que je viens frapper de toutes mes forces dans un ballon qui file loin devant tout en rebondissant sur le sol. Je ris parce que chaque surprise me fait éclater de rire. Je souris aussi parce que le sourire de l’autre me faire sourire. Je ne sais pas cependant si j’ai obligatoirement besoin de l’autre pour rire ou sourire. Le doute m’envahit à nouveau. La question n’est pas d’une importance majeure. Mais tout de même. Je ne ris pas assez de moi. Néanmoins tout en moi est susceptible de provoquer un éclat de rire. Je file alors dans la petite salle de bain pour me poster, droit comme un piquet, face à la glace suspendue au-dessus du lavabo. Je veux me dévisager. Je veux aussi m’observer, nu, de la tête au pied. Je vais enfin pouvoir m’entraîner à rire de moi librement.

à suivre… mn (XIV)

mn (XII)

Je cherche en vain à réveiller mes sens. Il ne m’en reste que des reliques, bien trop fades. La solitude éteint les feux. Les sensations ne s’imaginent pas, elles se vivent. Elles se vivent à la démesure jusqu’à l’anéantissement total des forces. Trop de souvenirs délavent les couleurs, atténuent les saveurs et annihilent les arômes, insensibilisent la délicate palpation des matières. Rien n’est plus délectable que la passion. L’innocence face à la nouveauté, à l’inconnu. Puis, la découverte disparaît, pour laisser place au vécu qui se trouble inexorablement au contact des réminiscences. Les souvenirs m’assomment. Ils submergent l’émotion. La pureté s’estompe, entachée de commémorations du passé déjà vécu. Seule la brûlure ardente de l’alcool fort qui s’écoule et se plaque le long de ma gorge parvient à ressusciter mes sens et mes émotions. Souvenir? Réalité? Anticipation du rêve? L’alcool possède ce secret et éphémère privilège. Il se déploie, avec volupté, au fur et à mesure des ingurgitations. Soudain, les illusions englouties au plus profond de l’être renaissent à la vie. Le tréfonds. Ces illusions oscillent et se teignent d’une palette absolue aux tonalités soyeuses. Parfois surgissent des éclats, prodigieusement forts, aigus comme des complaintes ahanées  par  l’animal en détresse. Dévorer le moment, qui n’est qu’un instant, sans se laisser troubler par le souvenir et l’imagination. Passionnément, oui, avec cette folle passion, indomptable, incommensurable. Reste l’ivresse pour adoucir l’abandon. On passe sa vie à être abandonné. À perdre la confiance de l’autre pour subsister avec l’unique souvenir des moments vécus. Je ne peux m’y résigner. Et, pulvérisé, je m’abandonne encore, à l’absorption irréfléchie et désordonnée de délices alcoolisés en tout genre, toujours plus forts. Toujours plus concentrés pour que l’aigreur intense m’aide à hurler ma rage. Revivre la passion par les hurlements et les vacillements. Triste simulation qui se brise par cet effondrement vertigineux, irrépressible et cuisant. Toujours plus insoutenable si les larmes, cette maudite sueur du coeur, ne s’écoulent pas. Et elles ne s’échappent pas. Jamais.  C’est interdit. Il faut apprendre à mourir et apprendre à mourir c’est malheureusement vivre. N’être qu’un petit déchet qui s’étiole. On n’aime pas les déchets. Cela répugne. Je ne connais pas de traité sur l’esthétisme du déchet ni sur le raffinement de l’ordure. Ma construction et ma chute sont paradoxalement inexorables. La voie se trace, il suffit de la suivre, sans mot dire, sans maudire.  Je m’exerce à comprendre que je n’existe plus. Utopie et croyance d’avoir été.

à suivre… mn (XIII)

mn (X)

Tu sais, aujourd’hui, je ne suis pas sûr d’être, ni d’être en vie.

Je n’arrive pas à m’accrocher à quoi que ce soit, un petit quelque chose qui me retienne. Malgré ma chute, je ne peux m’empêcher d’observer autour de moi, comme à l’habitude. Un vieux réflexe qui ne me quitte plus. Mes yeux se posent délicatement sur les objets éparpillés, ça et là, par moi sans doute, dans un autre temps dont je me souviens pas. Ils s’impriment, un à un, devant mes pupilles, presque en suspension. Je cherche à pénétrer leur âme, leur raison d’être mais ils ne me disent rien, ils ne parlent pas, ils ne me parlent plus. Leurs couleurs autrefois chatoyantes s’estompent pour ne devenir qu’une surface terne, lisse. J’essaie de tendre l’oreille, cela ne ressemble pas au silence. L’amalgame de sons que je discerne m’est aussi étranger que les espaces occupés. Je ne les reconnais pas. Non, je ne les connais pas. Ils résonnent, avec perte et fracas. C’est insoutenable. Même l’émanation écoeurante de tabac froid se teint d’un remugle persistant, anonyme, qui se propage à l’entour. Une cacophonie des sens, stridente, dépourvue de mélodie. Comme une perte de connaissance. Que se passe-t-il quand il ne se passe plus rien? J’ai profondément mal, mais je ne sens rien. Je sais que la douleur s’amplifie mais je ne sens toujours rien. Suis-je anéanti par le seul poids de mes pensées? Je ne suis plus sûr d’être en vie. C’est un sentiment étrange, non définissable. Je ne peux le classer, le codifier comme je sais si bien le faire. Ni agréable, ni désagréable. Peut-être les deux la fois. L’expérience est un échec. Néanmoins je suis là. Seuls mes yeux semblent avoir encore la force de deviner les formes. Je sais que le tourbillon va cesser, il faut qu’il s’estompe. L’effondrement ne peut que m’anéantir. Je ne peux concevoir de chute éternelle, infinie. Le vertige de la profondeur m’effraie, je ne peux le supporter. Je vois défiler une succession de hublots au travers desquels j’aperçois des visages transparents, aux sourires éclatants. De quoi rient-ils? De qui se moquent-ils? J’entends leurs cris de joie. La pression m’étouffe jusqu’à la nausée. Mais je m’engouffre dans ce tunnel vertical interminable. Je ne perçois plus les hublots, seulement la paroi, noire, parsemée de traces d’oxydation de couleur ocre qui s’étendent. Cela ne s’arrête pas, au contraire.  Non, cela s’accélère. La vitesse se décuple. J’ai l’impression que mes membres s’arrachent, l’un après l’autre, pour aller s’écraser violemment sur ce mur mat qui n’en finit pas. Le froid et la peur me tétanisent. Mes dents claquent de plus en plus fort. Je tremble de tout mon long, au même rythme que les images et les souvenirs s’entrechoquent, disparaissent puis resurgissent d’un coup sec et éclatant. À cette vitesse, rien ne peut plus stopper la chute.

à suivre… mn (XI)

funambules

mn (IX)

Être éveillé sans penser, seulement une fois, juste une fois.

Ne pas penser, juste une fois. Oui, juste une seule fois. S’arrêter, respirer, regarder, écouter, sentir et toucher mais ne rien retenir. Ne rien mémoriser. Être comme le vent qui souffle et s’apaise, la mer qui se déchaîne puis se lisse. Se fondre dans l’espace et s’y perdre. Ne faire qu’un dans le grand ensemble de tout. Ne pas penser pour ne pas faire de mal, pour ne pas se faire de mal. Ne pas penser pour ne pas tenter de comprendre ce que l’on ne peut jamais comprendre. La raison ne peut se limiter à une dualité noir blanc, oui non. Et le peut-être,  n’est pas plus raisonnable puisqu’il se situe entre le oui et le non, ou le gris entre le noir et le blanc. Les mêmes référents pour une simple variation. Il n’y a pas d’explication logique. Certes, la logique semble rassurante, très rassurante. Mais qu’advient-il s’il y a une exception à la règle? La logique se détruit, disparaît. Elle perd sa raison d’être à la moindre entourloupe. Oui, la petite tromperie à la logique, celle qui ne se dit pas, ne se voit pas toujours, ne se devine qu’à peine. Celle qui flotte toujours, partout pour nous prouver notre inaptitude à former des explications logiques. Alors, tout s’effondre, d’un seul tenant. La logique est pensée, la réalité est bien autre. Tout corrobore, rien ne se tient. La pensée essaie de faire tenir les choses entre elles, elle s’obstine à donner un sens, une explication jusqu’à justifier des concepts qui n’ont aucune consistance. Alors, que faire? Comment parvenir à cet état de grâce? Chasser le trouble, l’émotion. Seulement vivre et ne rien interpréter. Je ne suis ni les autres choses, ni les êtres qui m’entourent. Je ne peux penser pour eux, je ne peux vivre comme eux. Je ne peux être qu’avec eux, au même moment, tout le temps dans le cycle, le flux et le reflux. Se laisser aller, ne rien attendre, seulement rester. Observer, sans mot dire, sans planifier, sans s’exposer, sans intervenir, sans juger. Ne pas bouger mais s’intégrer, se fondre. N’être qu’un négligeable élément d’un paysage illimité, déjà dessiné et que l’on dessine irrémédiablement. Se sentir infinitésimal et infini à la fois. Ne pas y croire, seulement sans rendre compte. Pourquoi ne pas s’en imprégner? Pourquoi changer une mécanique qui s’étend et se confond? Intervenir ne mène à rien. Se faire croire que si, mais ne pas y croire n’est-il pas tout autant ridicule? Je cherche à calmer mon corps et mon esprit. Ils sont là, qu’ils y restent. Je souhaite seulement les mettre en veille, presque les éteindre, sans toutefois les arrêter. Je ne décide pas. Cela se fera seul. Dans un rythme, ce rythme profond, inexorable, que je ne perçois qu’avec grand peine. La vie que je vois et que je sens autour de moi, est parfois un contre-rythme. Plus illusoire qu’une illusion. Mais crédible, si l’on ne s’y arrête pas. Nous nous habituons à croire. Nous croyons que nous avançons. Nous croyons que nous faisons avancer. Enfin, pourquoi croire? Il suffit seulement d’être.

à suivre… mn (X)

mn (VIII)

Non, aucune importance.

Le jour se dilate et rétrécit, petit à petit , et je m’y insère doucement, sans presque aucun mouvement. Ma respiration est encore rauque et légèrement haletante. Les cigarettes renaissent dans mon souffle. Respirer lentement, sans bouger en sentant mes muscles douloureux me rassure. Prêter l’oreille à ce souffle, le mien, et au sifflement aigu qui s’échappe de mes narines fatiguées de laisser fuir cet air vicié par ce corps qui s’éteint un peu plus à chaque instant. Le râle de mes poumons affaiblis par le tabac qui s’y accumule depuis si longtemps. Cela m’est insupportable mais ce léger essoufflement, presque imperceptible, est comme une berceuse qui me réconcilie avec la solitude de mon environnement. Cette impression que les imperfections, les sons et les odeurs de mon corps accompagnent l’être qui pense en moi, pour qu’il ne soit pas seul. Ces traces de vie qui éclaboussent le calme et la progression de la journée. Journée qui n’en est pas une puisqu’elle ne finit jamais. Elle avance simplement, inexorablement en changeant de luminosité et de température. Je suis là dans ce bouillon sans fin. Je ne cherche pas à le comprendre, je cherche seulement à percevoir quel ingrédient suis-je dans ce bouillonnement où j’apparais, maintenant et jusqu’à quand. Le froid, le chaud, le jour, la nuit, l’humide, le sec se succèdent et se mélangent. Je m’y adapte, comme je peux. Certaines associations me plaisent plus que d’autres. Le froid, le jour et le sec par exemple semblent stabiliser le travail de mon corps et affiner le travail de mes pensées qui flottent autour de moi. Mes pensées ne me font pas mal. Je crois qu’elles ne touchent pas directement la surface de mon corps. Ni pincement ni caresse. Seules mes mains, ou les mains d’un autre ou d’une autre, parviennent à le faire. La douleur de mes poumons ne semblent pas venir directement de ma pensée. C’est extérieur à ma pensée et intérieur à mon propre organisme. Il vit indépendamment de moi, je ne lui demande rien, il ne me demande rien. Il sait ce qu’il à faire mais n’est pas toujours d’accord avec ce dont je rêve. Il est sensible aux aspérités de son environnement, posé là comme les autres choses qui l’entourent, ni plus ni moins. Il y en d’autres sans doute autour, je ne les vois guère de là où je suis. Mais ma pensée sait qu’ils sont là, et aussi là-bas, où je ne vais pas, où je ne suis pas. Fonctionnent-ils de la même manière? Je suis curieux de le savoir, et puis je me dis que cela importe peu de le savoir. Cela ne les empêche ni de vivre ni de non-vivre. Ils se fichent bien de savoir ce que je ressens puisqu’ils sont autonomes et différents à la fois. L’intérêt de le savoir se réduit alors et disparaît immédiatement, comme une idée qui traverse l’esprit et n’y revient jamais exactement de la même façon. Je préfère écouter mon souffle fébrile pour stopper net la réflexion qui me fait perdre pied. Je préfère me concentrer sur ce picotement ou la sensation de ce flux qui parcourt ce corps décharné. Je dois arrêter un moment de penser, rester calme, sans interrogation aucune, être seulement l’objet ou la matière qui me compose. Je ne sais comment le définir. Réussir à être ce que je suis lorsque je suis en plein sommeil, mais de façon éveillée.

Être éveillé sans penser, seulement une fois, juste une fois.

à suivre… mn (IX)

vision, visage, vie

Penser différemment en pensant les contraires

vie | mort – tout | rien – plein | vide – unique | multiple – dieu | diable – réalité | rêve – certitude | doute

présence | absence

hier | aujourd’hui | demain

Penser différemment en ne pensant pas

espace | temps | espace temps

je | tu | il-elle | on | nous | vous | ils-elles

oxymore

« Maintenant, je savais: les choses sont tout entières ce qu’elles paraissent – et derrières elles… il n’y a rien. »

Jean-Paul Sartre | La Nausée

quarante

Bientôt sonnera le glas de ses 40 ans.
Les 40 ans d’un mutilé de l’amour.
Les 40 ans d’un piètre bonasse qui ne sait ni donner l’amour, ni le recevoir.
Triste sort.
Triste sire.

mn (VII)

Je suis peut-être vivant, certes. Je n’en ai pas la preuve, mais je veux bien y croire. Je n’ai pas le choix, aucun choix. Seulement une sensation vague. Je sens. Oui, c’est cela, je sens. J’écoute les mots qui s’inscrivent, je ne sais où, mais par là, en moi. Dans ce corps que je n’aime pas plus que cela. Il ne me dit rien, il est là. Voilà, il est là. Je le vois quand je m’observe dans la glace, quand je le déplace d’un endroit à un autre, quand je vois mes mains. Surtout quand je vois mes mains. Je crois bien que c’est la seule chose de moi que je regarde vraiment. Avec attention. Avec plaisir presque. Elles sont autonomes, je les vois bouger, saisir, toucher, caresser, écrire, dessiner, peindre. Elles sont l’extension parfaite de mes pensées. Sans les mains je ne suis rien. Je le sais. Ma liaison avec le monde extérieur, ou intérieur d’ailleurs, avec le monde tout simplement. Il est petit mon monde. Il ne va pas loin. Je le limite, plus je le limite, plus il s’étend. J’aime le réduire mon monde, au maximum. Cela ne change absolument rien à l’autre monde. Rien, absolument rien. Il se délecte. Je ne le fuis pas, ou plus. Je n’ai aucune raison de le fuir. Je le regarde seulement, passer. Il passe, seul. Sans bruit superflu. Il est discret. On le remarque à peine. On ne le regarde pas, on l’utilise. On le glorifie ou on le hait. Peu importe, ce ne sont que des pensées. Et les pensées s’évaporent, comme nous si on le souhaite. Mais, on ne le souhaite pas. Non, nous voulons exister par nos pensées, nous voulons les partager. À n’importe quel prix. Nous voulons nous faire entendre. Pour être vu, ou seulement pour être perçu, non invisible. Ce n’est pas important. Je ne suis pas inquiet. J’attends. Je réduis, j’élimine, j’efface, je chute. Je perds pied. Mon corps perd pied et je peux me dégager et l’observer. J’aime la chute, parce qu’elle va toujours plus vite que mes pensées. Elle me laisse à peine le temps de m’observer. Ce n’est pas moi qui m’observe alors. C’est le monde. L’instant présent, le cycle de l’instant. Aucune peur, aucune joie, aucune émotion. Le seul instant. La séparation. La rupture. Le vertige. La jouissance pure de l’instant vécu. Pas ce qui l’entoure, non. Rien d’autre que la chute. Le passage d’un état à un autre sans analyse. Elle est seulement postérieure l’analyse. Mais elle est fausse. Les pensées reviennent, elles classent dans des cases. Ici ou là. Pour reprendre le contrôle. Le contrôle. Je passe mon temps à éviter le contrôle. Je n’y arrive pas bien. Cela n’a aucune importance. Seul, rien n’a d’importance. La pression n’est pas dans la solitude. Le chemin est sans doute par là, si chemin il y a. Je ne crois pas qu’il existe un chemin. Cela n’est pas clair. Il y a peut-être un rythme, un équilibre rythmé qui n’a aucune signification profonde. Oui, un rythme, sans artifice, ni valeur. Qui peut juger de la valeur d’un rythme? D’un mouvement qui va vers sa fin, habillé de telle ou telle manière. Quel est celui qui peut me dire que sa pensée ou qu’une pensée est bonne à suivre. Cela m’amuse. Cela m’attriste. Mais, je vois bien que là encore, cela n’a aucune importance dans le mouvement du rythme. Aucune.

à suivre… mn (VIII)

mn (VI)

Mais qui vit mon existence alors? Je ne suis pas sûr d’y participer finalement. Est-elle vraiment mienne, suis-je vraiment cet homme seul, là, assis sur une chaise, accoudé à une table? Je me perds à chaque mouvement de ce corps. Je repense à ce rêve, je ne parviens pas à m’en défaire. Le spectacle de la journée me laisse perplexe. Est-ce le même jour qu’hier? Est-ce déjà demain? Je ne peux me concentrer pour y répondre. Non, je ne peux pas douter, je sais bien qu’il ne se passe rien. Je suis seul, je crois. Je tergiverse. Suis-je seul? Mais oui, probablement, qui donc m’accompagne, là, maintenant, ici même, en cet instant et en cet endroit? Non, c’est évident. Je suis seul. Je dois me lever, le vérifier. Il me faut sortir, croiser quelqu’un pour que l’angoisse ne me rattrape pas. Je sens qu’elle s’immisce. Elle s’épanche lentement, m’envahit, subrepticement. Je présume que je déteste cette sensation. Elle me paralyse. Cela m’étonne. Je ne sais ni aimer ni détester il me semble. Je ne perçois pas les émotions antagonistes. Mais je ressens la paralysie. Seule l’angoisse me taraude. Elle est facile à capter, elle ne s’apparente ni à la joie, ni à la peine. L’angoisse de quoi alors? L’angoisse de moi. Je dois la laisser faire,  seulement ne pas y prêter attention. Mais si elle arrive jusqu’à moi, il faut que je lui laisse l’espace. L’espace qui lui est nécessaire. Ni trop, ni trop peu. Je m’oblige à la regarder passer afin qu’elle ne s’installe pas et qu’elle reparte au plus vite. Je la sens, elle ne m’appartient pas, mais ses visites me dérangent. Je préfère quand elle n’est pas là. Quand elle n’est pas là tout le temps. Je ne comprends pas pourquoi elle vient frapper à ma porte. Oui, elle me cogne, je le sais, je le sens. Ma tête est douloureuse et lourde. Je veux fumer. Je veux fuir dans la maison aux volets rouges. Je dois y retourner, dès que je peux. Je dois oublier que je suis assis là. Disparaître. Si je disparais, je ne sens plus l’oppression. Je suis mieux là-bas, il fait doux. Les senteurs explosent, elles ont un arôme. Je les goutte. Je les sens sur moi, elles s’accrochent. Elles pénètrent et laissent une trace sur leur passage. L’air existe, il circule. Il se voit, il peut même se toucher du bout des doigts. On peut aussi s’y étendre. S’y laisser choir, sans craindre de chuter. Le calme y émet sa propre musique. Cette mélodie pure et transparente qui annihile tous les autres bruits. Ceux qui sont inutiles. Ceux qui ne servent à rien. Ceux qui se posent les uns sur les autres. Ceux qui sont épais. Je préfère le souffle de cet écho parfait. Il se répète à l’infini sans jamais s’interrompre. Il pénètre la peau. Il prend place doucement, sans  tiraillements, sans violence. Profondément. Profondément tranquille. Apaisé. Je sens mon coeur battre. J’entends mon sang circuler dans les tempes. Je laisse aller mon souffle. Je dois être vivant.

à suivre… mn (VII)

mn (V)

Je me crée mes propres croyances pour ne pas avoir à croire celles des autres. L’endroit où je vis est à mon image. Simple. Déprimant. Sans saveur. Je dis cela , les coudes sur la table, le regard posé sur les mégots qui gisent dans le cendrier. Ils sont presque plus animés que moi. De leurs restes émane une odeur âcre. Elle ne me déplaît pas cette odeur. Elle est tenace, ne veut pas disparaître. Je me prends au jeu de m’imaginer dans cette maison aux volets rouges. Je la dessine dans mes songes depuis toujours. D’ailleurs, je pense que je peux vivre ici parce que, dans ma réalité, je vis dans la maison aux volets rouges. Alors peu importe le reste. Cela ne change rien. On vit bien là où sa tête veut bien vous faire vivre. Quelle importance. Je sais que je fais partie de cette expérience humaine inhumaine. Mais, est-ce vraiment l’humanité? Je suis une souris de laboratoire en quelque sorte. Je ne sais toujours  pas pourquoi j’y participe. Cela ne me dérange pas. Je suis là et c’est bien. Il faut bien que quelqu’un y soit de toute façon. Et puis, je ne veux pas me poser cette question. Cela ne m’avance pas. L’idée est simple, des suites d’immeubles, souvent gris, aux dimensions identiques, contenant 249 appartements chacun, sur quatre étages. Tous les appartements ont la même taille. De même couleur. Enfin, je crois parce que je ne peux pas tous les visiter. Je n’en éprouve ni le besoin, ni l’envie. Je ne peux pas parler avec chaque locataire non plus. Cela me terrorise de penser à cela. Seules l’orientation et la position dans l’espace diffèrent. Certains occupants voient le soleil le matin, d’autres l’après-midi. Certains ne le voient quasiment jamais. Moi j’ai de la chance. Je fais partie de ceux qui ne voient pas trop le soleil. Si je vois le soleil, je veux partir d’ici. Je veux fuir. Alors, je préfère ne pas le voir, comme cela je peux rester. Les appartements les plus dangereux sont les plus hauts. Le risque de tomber par la fenêtre existe. Et si vous tombez, l’expérience prend du retard je crois. Il faut vous remplacer, et ce n’est pas toujours facile de vous remplacer vraiment. J’ai pourtant l’impression que si je tombe un jour, on me remplacera facilement. Mais, il me semble que l’on n’a pas confiance en moi. Je suis au premier étage. Si je tombe, il est fort probable que l’on puisse me sauver pour me remettre dans le circuit. Ce qui n’est pas facile c’est surtout de trouver des participants qui viennent de partout et de nulle part. Nous devons tous être de nationalité différente, de religion différente, d’âge différent, de couleur de peau différente. C’est une drôle d’idée, parce que moi je ne vois pas les différences. Je suis sans doute daltonien, je ne perçois pas les différences de couleur des voisins. Je les regarde bien parfois. Pas trop longtemps, pour ne pas les gêner non plus. Mais, je veux savoir s’ils sont là encore, ou s’ils disparaissent. Ce n’est pas facile à savoir. C’est leur vie, cela ne me regarde pas. Cela ne m’intéresse pas trop non plus. Je préfère penser à autre chose. Ma vie n’est pas vraiment là je crois.

à suivre… mn (VI)

mn (IV)

Je sens l’air frais qui entre par la fenêtre. L’aube, le crépuscule. Peu m’importe, je n’y peux rien de toute façon. Je parviens à ne pas écouter le bruit de l’extérieur. Heureusement que l’horloge est là. Elle couvre le son de la radio et le bruit de la goutte d’eau qui ne cesse de se détacher du robinet de la cuisine pour  aller exploser dans le fond de l’évier. Je crains qu’un petit abysse se forme dans l’évier à force de le percuter au même endroit. Ploc! Ploc! Oui, je crois que ma mère attend la mort et que mon père n’en a pas encore très envie. Moi, je ne sais pas. Je ne comprends pas pourquoi ils pensent à cela. C’est peut-être important mais je ne vois pas pourquoi. Je peux m’énerver de temps en temps parce que je ne comprends pas certaines choses. Mais cela ne m’arrive pas souvent. Je trouve cela inutile de s’énerver. Cela m’angoisse, même si je ne sais pas très bien non plus si c’est cela qui m’angoisse. Est-ce cela l’angoisse? Je préfère nommer cette sensation ainsi parce que j’entends souvent ce mot à la radio et j’imagine ne pas être différent des autres. Je peux essayer de le savoir mais cela va être long et dur. Je ne vais pas être plus avancé sans doute. Suis-je exclus ou suis-je reclus? Je suis bien ici. Je ne réfléchis à rien, j’attends. Je ne blesse personne, je regarde et j’écoute ce qui se présente à moi. J’essaie de ne toucher à rien. J’observe lentement, j’économise mes gestes. Je ne veux pas troubler l’ordre qui règne naturellement. Ma présence n’est que passagère par ici. Je ne peux pas l’affirmer, je ne sais pas ce qui va m’arriver après. Mais je sais que l’on ne m’attend pas. On n’attend rien de moi non plus. De toute façon, c’est stupide d’attendre quelque chose de quelqu’un puisque l’on n’est pas lui. Cela n’a aucune importance. Alors, je suis discret. Si je concentre  attention, je perçois à peine que je suis là. Je peux oublier que j’existe, mais ce n’est pas facile. Il y a toujours quelque chose pour vous rappeler à l’ordre. Je préfère dire quelque chose parce que je ne connais presque personne. Personne ne me rappelle donc à l’ordre. Je m’entraîne régulièrement cependant. C’est mon travail préféré. Apprendre à disparaître. Se volatiliser, sans bruit, sans mouvement. Puis se scruter, de plus loin, de plus haut. L’exercice m’est encore un peu difficile, mais je persévère. Oui, c’est cela, exactement, je persévère. Je sais bien persévérer parce que le temps ne compte pas quand je persévère. J’aime m´évaporer, être cet imperceptible nuage qui sent la présence de mon être. Je ne sais pas si nous sommes deux, ou si je ne fais qu’un. Je pense ne faire qu’un quand je m’évapore. Tout bêtement parce que j’ai l’impression de réfléchir de la même manière que lorsque je ne m’évapore pas. J’essaie seulement de savoir ce que je suis quand j’essaie de m’évaporer, de disparaître de mon écrin qui parfois me serre un peu trop. Oui, mon corps me serre un peu trop. Il me limite. Alors je préfère ne plus y penser et je le laisse de côté. Mais, ce n’est pas facile non plus. Je ne sais pas ce qui est le plus dur. Laisser son corps de côté ou arrêter le flux des pensées. Je cherche à faire les deux à la fois, mais là encore, l’exercice n’est pas anodin. Je ne trouve pas la méthode pour y parvenir. Je pense seulement que c’est possible.

à suivre… mn (V)