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mn (XII)

Je cherche en vain à réveiller mes sens. Il ne m’en reste que des reliques, bien trop fades. La solitude éteint les feux. Les sensations ne s’imaginent pas, elles se vivent. Elles se vivent à la démesure jusqu’à l’anéantissement total des forces. Trop de souvenirs délavent les couleurs, atténuent les saveurs et annihilent les arômes, insensibilisent la délicate palpation des matières. Rien n’est plus délectable que la passion. L’innocence face à la nouveauté, à l’inconnu. Puis, la découverte disparaît, pour laisser place au vécu qui se trouble inexorablement au contact des réminiscences. Les souvenirs m’assomment. Ils submergent l’émotion. La pureté s’estompe, entachée de commémorations du passé déjà vécu. Seule la brûlure ardente de l’alcool fort qui s’écoule et se plaque le long de ma gorge parvient à ressusciter mes sens et mes émotions. Souvenir? Réalité? Anticipation du rêve? L’alcool possède ce secret et éphémère privilège. Il se déploie, avec volupté, au fur et à mesure des ingurgitations. Soudain, les illusions englouties au plus profond de l’être renaissent à la vie. Le tréfonds. Ces illusions oscillent et se teignent d’une palette absolue aux tonalités soyeuses. Parfois surgissent des éclats, prodigieusement forts, aigus comme des complaintes ahanées  par  l’animal en détresse. Dévorer le moment, qui n’est qu’un instant, sans se laisser troubler par le souvenir et l’imagination. Passionnément, oui, avec cette folle passion, indomptable, incommensurable. Reste l’ivresse pour adoucir l’abandon. On passe sa vie à être abandonné. À perdre la confiance de l’autre pour subsister avec l’unique souvenir des moments vécus. Je ne peux m’y résigner. Et, pulvérisé, je m’abandonne encore, à l’absorption irréfléchie et désordonnée de délices alcoolisés en tout genre, toujours plus forts. Toujours plus concentrés pour que l’aigreur intense m’aide à hurler ma rage. Revivre la passion par les hurlements et les vacillements. Triste simulation qui se brise par cet effondrement vertigineux, irrépressible et cuisant. Toujours plus insoutenable si les larmes, cette maudite sueur du coeur, ne s’écoulent pas. Et elles ne s’échappent pas. Jamais.  C’est interdit. Il faut apprendre à mourir et apprendre à mourir c’est malheureusement vivre. N’être qu’un petit déchet qui s’étiole. On n’aime pas les déchets. Cela répugne. Je ne connais pas de traité sur l’esthétisme du déchet ni sur le raffinement de l’ordure. Ma construction et ma chute sont paradoxalement inexorables. La voie se trace, il suffit de la suivre, sans mot dire, sans maudire.  Je m’exerce à comprendre que je n’existe plus. Utopie et croyance d’avoir été.

à suivre… mn (XIII)

mn (XI)

Je sens le choc de mon corps sur le sol. Il est brutal. Je ne vois plus les hublots. Je n’entends plus les spectateurs, je n’entends plus leurs éclats de rire. Je ne vois plus leurs gigantesques et horribles bouches déformées par leurs rires affreux. Maintenant, je ne perçois plus qu’un léger bourdonnement, sans distinguer pour autant le bourdon qui semble vouloir rester là, tapi quelque part autour de moi, dans moi peut-être. J’entrevois aussi la chaise, à la renverse. Une chaise similaire aux chaises d’école. Assise de bois contre-plaqué, pieds métalliques de couleur verte. Et le dessous de la table, noir. Une étiquette est collée, là. Je devine une lettre majuscule et 7 chiffres. Un code sans doute. Suis-je aussi affublé d’un code? Très probablement, il n’y a aucune raison que je n’en ai pas un. Pourquoi pas moi? Ce n’est pas facile d’exister pour les autres si l’on n’a pas un code. Je me moque bien de ne pas exister pour les autres. Que se passe-t-il si on ne peut pas se reconnaître entre nous, s’identifier? Il n’y a aucune logique à cela. On peut se tromper de personne et, c’est inconcevable d’avoir la possibilité de se tromper de personne. Sauf si l’on est tous pareils, alors là, ce n’est plus grave du tout. S’identifier, se donner une identité. En quoi faisant? Et surtout, pourquoi faire? Il semble me souvenir que les autres ne sont pas identiques à moi. En quoi sont-ils vraiment si différents? Peu importe. Ils ne possèdent pas ma violence. Cette violence que j’éprouve à mon égard. Je vois bien qu’un halo de gêne m’entoure. Plus personne ne s’approche. Et, si l’on s’approche on finit toujours par s’écarter de moi. On finit toujours par me fuir. On finit toujours par me lâcher. Par m’abandonner. Moi aussi, je fuis mais jamais bien loin. Je tente surtout de me fuir, sans pour autant  y parvenir. Il est impossible de s’abandonner seul quand on est encore en vie. Aussi faible soit le souffle de vie qui pénètre son corps. On ne peut  pas fuir ce que l’on est. Cela doit expliquer mes évanouissements fréquents, mes tentatives de fuite qui se soldent par l’échec du retour à la vie. Quelque chose en moi essaie de s’échapper, à tout prix. Mais il n’y parvient pas, parce que c’est moi. Et l’on n’est pas deux quand on est soi. Je sais que je le déteste vraiment celui-ci. Qu’il ne s’aventure plus par ici! Et, ce satané code, où se trouve-il? Je n’ai ni l’utilité ni le besoin de le chercher. Il m’est aussi inutile que je me suis inutile. Je pense seulement à l’enlever pour qu’on le retrouve jamais, pour qu’il ne tombe dans aucune main bienveillante. Est-il pair, impair? Aucun des deux? Je suis absolument certain qu’il n’est ni pair, ni impair. Car tout peut exister, sinon, rien n’existe. Je ne suis bien ni blanc ni noir, mais noir et blanc, avec d’autres couleurs aussi même si ces dernières, les plus belles, s’estompent petit à petit. Qu’elles cessent de disparaître ces couleurs! Je ne peux me résigner à devenir chaque jour un peu plus gris, sans odeur ni saveur.

Rien ne peut donc stopper ce mouvement infini.

à suivre… mn (XII)