toutes les directions | christine jeanney | #vasescommunicants

– Ne crois-tu pas que tu te trompes ?
Il faudrait savoir à qui s’adresse cette question, si on se trompe collectivement. Quand on se lève, qu’on allume la radio, les bruits de partout, comment ça s’organise. On se trompe peut-être depuis le début du réveil ?
– Comment essayer de t’expliquer à qui cela s’adresse, j’y pense continuellement. Pas un instant sans que cette question obsédante revienne à mon esprit, le matin, la nuit. Pas de relâche. Pas de jours fériés. Pas de vacances. Non. Seulement cette question, sempiternelle interrogation qui fait surface dès que j’émerge au monde. Est-ce moi? Est-ce toi? Ne crois-tu pas que l’on se trompe? Tous, chaque jour, à chaque instant.
prendre des indices, il faut prendre des indices. Il y a l’histoire de cet homme qui dévissait les pancartes, pas n’importe lesquelles, seulement celles qui lui rappelaient quelque chose de joli. On pourrait faire ça. Prendre les indices. Quelle pancarte tu voudrais désemmancher du sol et allonger doucement – les précautions que tu prendrais – dans le coffre de ta voiture ?
– Oui, tu as raison. Il faut que nous prenions les indices. Mais j’ai si peur de ne plus les percevoir, de passer bêtement à côté sans les avoir vus. De les dépasser comme je le suis, moi aussi, dépassé. Peux-tu m’aider? Veux-tu m’aider? Je ne discerne plus les évidences. Je ne distingue plus les belles choses. Mais ne t’inquiète pas… Je les garde en moi. Te souviens-tu de cette exposition sur les jardins impressionnistes? Te souviens-tu de l’affiche? C’est elle que je souhaiterai aller désemmancher si elle était encore suspendue dans la rue? Oui. C’est elle.
cette affiche, je pourrais la voir en me penchant un peu. Ou ce serait très flou et très boisé, de la glycine. Les pancartes nous rassembleraient autant qu’elles nous séparent, alors ? (décidément, les questions viennent se coller à nous comme des mouches, et si on les immobilisait d’une claque sèche ?) (oh, encore une, je crois que c’est peine perdue…) Sur ma pancarte, le nom d’un village et un kilométrage fluctuant. Rouler vers lui, et qu’au lieu de s’en approcher on s’éloigne, ou l’inverse. Les pancartes rassemblées en bouquet montreraient toutes les directions, toutes.
D’une claque sèche les immobiliser… plus de questions, aucune. Immobilisées une fois pour toutes grâce à une simple petite claque sèche. Tu la donnes, je la donne? Ne doit-on pas se résoudre à la donner cette claque pour continuer à avancer à reculons vers ce village dont on s’approche en s’éloignant? Ne crois-tu pas que l’on se trompe à vouloir suivre une seule route, un seul chemin? Plus on s’approche, plus on s’éloigne, la vie n’est-elle pas toujours ainsi? Et moi, je joue avec ces questions sans même m’en apercevoir? Cette claque, je crois qu’il faut que tu me la donnes, il y a trop de questions. On choisira la direction après, tu piocheras dans le bouquet. Mais je n’en suis plus sûr… Nous sommes-nous réellement réveillés?
Nommer, désigner, lire à voix haute le nom des villes sur les panneaux, en faire une liste ouverte, poser sous chaque nom sa propre tessiture, ce que nous appartient, entre soi et la ville le lien, nommer, désigner et s’emparer des directions, fouiller en soi pour les tenir (car elles s’échappent), nommer, désigner, avaler. Et les questions seraient les lieux.
Alors, ne crois-tu pas que nous avons enfin compris? Nous les avons suivis, nous avons vus les lumières, nous avons entendus leurs sirènes mais nous n’y sommes jamais parvenu. Nous les avons arrachés, emmenés avec nous. Nous aussi nous voulions que cela soit beau. Oui, seulement beau. Nous aussi nous avons voulu brouiller les pistes, garder l’essentiel. Nous avons senti que cela n’allait pas droit. Les indices, les villes, leurs pancartes. Ne crois-tu pas que nous étions perdus et que l’on se perd encore… avec joie.

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Merci Christine Jeanney pour ce dialogue des vases. Les Autres Vases Communicants du mois de septembre.

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