fin | Christine Zottele | #vasescommunicants

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Demain tout sera fini.
En attendant l’aube: se préparer à la fin de la nuit.
Comme les anciens préparaient le nouveau jour de l’année nouvelle les vingt-huit nuits du mois précédent, cette nuit je me prépare à entrer dans le cinquième âge. Ce n’est pas le plus facile à vivre mais il présente quelques attraits non dédaignables. Pour l’instant, je dois en finir avec le quatrième âge et rompre définitivement avec les cercles vicieux, la quadrature du cercle et les ronds-points qui ne vont nulle part. Je m’apprête à commettre l’irréparable, à briser l’anneau, celui qui me lie aux servitudes sociétales.
Hier matin, je suis allée me recueillir auprès de l’Enfeuillé – en écrivant cela, je pense à endeuillé alors que c’est tout le contraire : c’est comme s’il ne voulait pas faire le deuil de l’été, le sycomore, il a encore presque toutes ses feuilles. Après lui avoir demandé pardon, j’ai scié une grosse branche. L’effort m’a fait un moment lever la tête et j’ai aperçu l’Emplumé qui me regardait de ses petits yeux mouillés. Il s’est envolé en poussant des cris rauques. Il a disparu et je n’ai pas compris tout de suite mon malaise. Ce n’est que plus tard, alors que je dressais le brûloir et disposais les bougies en cercle pour le rituel que j’ai réalisé mon erreur. J’avais créé un déséquilibre dans l’Enfeuillé– c’était peut-être ça qu’avait voulu me signaler l’emplumé- en ayant encore agi trop vite, sans prendre le temps de la réflexion. Un peu comme un vide ou une béance incongrue dans un tableau matérialise l’intention effacée du peintre. Ce soir, j’écrirai encore une ou deux intentions non réalisées : la création de la forme inédite, du signe encore insignifié. Sur cela aussi il faudra tirer un trait définitif. Je frissonne devant ce vilain mot. Il est pourtant loin le temps de la danse, éphémère et sans conséquence. Depuis, j’ai franchi successivement les seuils de l’âge des semences, celui des signes et celui des vérités amères, auxquelles je dis adieu. Je commencerai par brûler les mots définitif, irréversible et irréparable.
Je regarde brûler la bûche du solstice et avec elle les peurs que j’ai inscrites sur des papiers et auxquelles je renonce pour vivre pleinement ce qui va suivre. La sauge cueillie à la dernière minute a eu du mal à s’enflammer et j’ai vu peu de choses de ce qui nous attend tant la fumée piquait les yeux. J’ai ensuite réglé le compte de mes colères –pas mes indignations – celles que je ne parviens pas à transformer et qui me consument sans nécessité. La colère de ne pouvoir transmettre aux enfants et petits-enfants ce qui me tient à cœur et à raison, à corps et à murmures et que je ne sais que crier. Enfin, j’ai brûlé l’impatience pour la troisième fois de ma vie, mais celle-ci, je ne sais pas pourquoi refuse de mourir et grandit encore en moi en parasite. J’ai pourtant bon espoir, cette fois d’en venir à bout.
Demain, je commence une longue marche jusqu’à l’île de Sein où je retrouverai mes sœurs qui entrent aussi dans l’âge de la migration et nous célèbrerons le grand rituel auprès du Grand Chêne à la pleine lune. Puis nous partirons pour le grand périple qui nous libérera de la crise et de la morosité. C’est notre privilège de femmes du cinquième âge. Nous ne manquerons de rien, ni de nourriture ni de sourires, ni de chants ni de musique, ni de fictions ni de rêves à partager… Parfois nous songerons aux nôtres, encore dans les rets des quatre premiers âges. Pour moi, c’est bientôt fini.

– Tata, Tata, pourquoi t’as écrit le mot fin au début ?

Je vous remercie Christine (etsansciel) de partager à nouveau un texte avec moi, les autres Vases Communicants du mois de décembre sont ici: rendez-vous des vases.

Une réflexion au sujet de « fin | Christine Zottele | #vasescommunicants »

  1. mel13

    Xavier, j’espère que vous avez fait bon voyage et en attendant de vous relire, merci une fois encore de m’avoir offert la possibilité de déposer mes mots dans votre belle boîte à rêves vivants…

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